Alessandra Panaro, une petite Romaine sur le grand écran

 

 

 

«N’est-ce pas le plus bel endroit de Rome ?...» demande-t-elle sans attendre une approbation forcément acquise. Alessandra Panaro ne se vante pas. Niché dans un antique palazzo à deux pas du Palatin, son appartement offre une vue époustouflante sur la ville. À l’intérieur, photos de cinéma et de théâtre – les siennes et celles de son second mari, le comédien Giancarlo Sbragia – voisinent avec une immense bibliothèque et un élégant mobilier. Un logis d’artistes. Et d’artistes de bonne famille.

Rencontrer Alessandra Panaro fait l’effet de retrouvailles avec une camarade de lycée qu’on aurait perdue de vue. Avec un brin de sophistication en plus, l’adorable fiancée du cinéma italien que dirigea Visconti a gardé intactes sa silhouette de jeune fille et son allure décontractée. Jean ajusté et t-shirt blanc ont seulement remplacé ses robes cintrées d’alors. Sur le tableau «peint par un ami de Fellini» qui trône sur un mur du salon, on prendrait facilement la mère pour la fille. De ses doigts effilés, elle saisit cigarette et briquet: «Je suis d’une famille romanissima! Mon père était colonel dans l’aéronautique et ma mère romaine depuis sept générations, d’une famille d’avocats au tribunal de la rote. E adoro la mia Roma… ».

 

Premiers pas avec les grands

Ses débuts au cinéma, elle les a faits à quatorze ans dans Il barcaiolo di Amalfi, un petit film oublié de 1954 où son frère Michelangelo (« Milo ») était assistant réalisateur. Elle se souvient: «Il voulait me décourager et m’a fait lever à quatre heures du matin pour m’emmener sur le lieu du tournage, au bord de la mer. Je ne me rappelle même plus ce que je jouais... Il espérait qu’en rentrant à la maison le soir, je serais brisée et voudrais abandonner. Mais moi, au contraire, je m’étais bien amusée!». D’autres apparitions suivent avant un véritable rôle dans Gli innamorati (Les amoureux, 1955). C’est en rendant visite à Milo sur le tournage qu’elle fut remarquée par Mauro Bolognini. Restait à convaincre ses parents: «Ça n’a pas été sans peine! explique-t-elle en riant. Pour ma mère, faire du cinéma était un scandale. Alors tout le conseil de famille s’est réuni, il y avait même un oncle cofondateur de la démocratie chrétienne… Et finalement ils ont dit oui!».

Du film, une des plus charmantes comédies sur la jeunesse italienne de l’après-guerre qui remporta le nastro d’argento du meilleur scénario, elle garde un souvenir merveilleux: «Nous tournions à Rome, dans la rue. Je faisais mourir de rire Mauro car j’avais alors un cheveu sur la langue et une phrase de mon texte était justement remplie de s: “Chissà come la concia st’assassino”! Et il rallongeait jour après jour mon rôle qui était à l’origine très réduit. Puis, nous sommes allés à Cannes où le film était présenté. Ma mère m’avait confiée à Mauro qui dormait dans la chambre voisine de la mienne pour me surveiller! Avec l’équipe du film nous sommes arrivés au Palais du Festival, tous dans une seule Cadillac. On s’est amusés comme des fous… ».

Parallèlement à quelques leçons dans le cours de récitation de Teresa Franchini – où elle avoue avoir été «trop peste» pour faire long feu – et à l’animation d’un programme pour les enfants à la télévision, elle enchaîne les rôles de collégienne et de jeunes filles en fleur jusqu’à Poveri ma belli (Pauvres mais beaux, 1956), fleuron de la comédie italienne et l’un des plus gros succès de l’histoire du cinéma national. Produit par la Titanus et réalisé par Dino Risi, le film met en scène les aventures de deux dragueurs impénitents (Renato Salvatori et Maurizio Arena) qui se disputent la pulpeuse mais sage Marisa Allasio sans voir que leurs sœurs respectives (Alessandra Panaro et Lorella De Luca) sont silencieusement éprises d’eux. Entre quiproquos en série et situations tordantes décuplées par la fraîcheur de ses interprètes, Poveri ma belli, peinture d’une certaine jeunesse romaine populaire des années 50, s’est imposé sans peine comme le film d’une génération. Justement celle d’Alessandra: «Il y avait de très bons acteurs comme Mario Carotenuto et une marée de jeunes, garçons et filles. Dino était extraordinaire car, psychiatre de formation, il savait en nous observant obtenir de nous ce qu’il voulait, sans jamais élever la voix. Si nous étions si spontanés, c’est qu’il ne faisait que très peu de prises. Peut-être aussi qu’on se sentait plus libres en tournant dans la rue, place Navone ou via Garibaldi».

L’accueil triomphal réservé au film appelle la série. Ce sera Belle ma povere puis Poveri milionari, avec le même quatuor. Alessandra Panaro se rappelle avec émotion Salvatori et Arena, aujourd’hui disparus: «Tous deux étaient très sympathiques mais je dirais qu’alors que Maurizio était plus spontané, Renato était plus intellectuel. Il a ensuite épousé Annie Girardot et tourné pour Pontecorvo, Costas-Gavras, Bertolucci. Je me souviens que déjà, sur le tournage de Poveri milionari, il venait avec des livres sous le bras!». Avec Lorella De Luca, qui est restée une amie, le succès de la série leur vaut d’être engagées pour présenter Il musichiere, un jeu musical télévisé qui fait un tabac en Italie. Les cognatine (« petites belles-sœurs »), comme les appelle par allusion au film l’animateur en titre – l’acteur romain Mario Riva – deviennent les idoles de la jeunesse italienne.

 

Princesse du cinéma de genre

Même Visconti ne peut rien refuser à l’espiègle Alessandra. Il faut l’entendre raconter l’origine de son rôle dans Rocco et ses frères, en 1960: «C’était à Ischia, à l’occasion d’un festival. Nous participions à une grande partie de pêche et Visconti, qui avait une villa à Ischia, était venu y assister. Tout le monde avait peur de lui, mais moi je me suis assise sur ses genoux et j’ai commencé à lui peigner ses énormes sourcils en lui disant: “Je veux faire un film avec vous…”. Il vous aimait bien ou pas du tout. Avec moi, il a toujours été adorable ».

Mais les années 60 seront surtout celles du cinéma de genre, qui fait d’elle l’héroïne d’innombrables péplums (Ercole contro Moloch), films exotiques (Sandok, il Maciste della giungla) ou films en costumes (Il boia di Venezia). Quand on oppose ces rôles, forcément plus limités, à la spontanéité dont elle fait preuve dans la comédie, elle objecte: «On peut être tout aussi crédible et sincère en récitant dans des péplums ou dans des robes du XVIIIe siècle! Les Bacchantes de Giorgio Ferroni, par exemple, n’était pas mauvais. Et puis il y a aussi des choix qui se font par plaisir : passer une semaine à Venise pour tourner un film en costumes, quelle jeune fille refuserait ?... ».

De cette époque, elle rappelle ses amis: comme Sean Flynn avec qui elle tourne en Espagne Il figlio del capitano Blood: «Sean était un amour. Il avait très mal vécu la séparation de ses parents et l’aura omniprésente de son père qui était même allé, comme il me l’avait raconté, jusqu’à lui voler un de ses flirts. Un jour, dans un studio de Rome, un journaliste s’est approché de la table où nous étions et a commencé à lui parler de son père. Il est devenu fou furieux et a envoyé la table en l'air… Il était timide et complexé et disait qu’il n’aimait pas faire l’acteur, qu’il se sentait ridicule. Ensuite, il a pu faire ce qu’il voulait comme journaliste de guerre, mais ça lui a coûté la vie… ». De Robert Siodmak aussi elle garde un souvenir ému : Il avait tant à raconter et regrettait toujours de ne pas revoir ses acteurs, le tournage terminé. Il m’avait prédit: “Un jour on te dira: «Tu sais que Robert Siodmak est mort ?» et tu répondras: «Quelle tristesse… Peux-tu me passer le sel?… ». J’avais répliqué: “Mais non Robert, comment peux-tu dire ça ?” et lui m’avait répondu: “Parce que la vie est ainsi...”.

En 1966, elle est déjà fiancée au banquier franco-égyptien Jean-Pierre Sabet, «rencontré sur la Côte d’Azur», quand elle accepte encore un petit rôle dans un film de son ami Arena et un autre dans La notte dell’addio«parce que j’y jouais une putain, un personnage à mille lieues de ce que j’avais fait jusqu’alors». Après son mariage, une nouvelle vie commence à Genève et c’est seulement pour Duccio Tessari, le mari de Lorella, qu’elle accepte dix ans plus tard de tourner un ultime film: La madama.

 

« Mes films sont un monde révolu »

            Depuis le décès de son mari et son remariage en 1992 avec Giancarlo Sbragia, lui aussi disparu, elle vit la moitié de l’année à Genève et l’autre à Rome. Tourner aujourd’hui en Italie? Elle ne s’y risquerait pas: «On m’a proposé des films pour la télévision, mais les scénarios que j’ai lus étaient si mal écrits que j’ai renoncé. Nous, nous avions Festa Campanile, Franciosa, Suso Cecchi D’Amico… ». Quant aux acteurs actuels et au star-system qui les entoure, ils la laissent perplexe: «J’ai eu la chance de tourner dès le début avec de grands réalisateurs et de grands acteurs, mais aujourd’hui c’est très différent. Les jeunes actrices commencent à la télévision, qui apporte une popularité immédiate mais éphémère. Je me rappelle une fois avec Lorella où nous avons été littéralement assiégées dans un bar par une troupe de fans. Ce jour-là, nous nous sommes rendu compte de notre popularité. Mais nous avions une vie tout à fait normale, avec nos amis, nos flirts, notre famille où nous n’étions pas traitées comme des divas! Étant sous contrat, nous ne touchions pas davantage d’argent du succès des films. Imaginez ce que nous aurions gagné si nous avions accepté les milliers de publicités et le sponsoring que font aujourd’hui de jeunes actrices bien moins connues que nous ne l’étions! De même, nous n’amenions pas nos maquilleuses et nos coiffeuses et il n’était pas non plus question de caprices comme une heure de retard!».

            Sa carrière, elle l’assume entièrement, sans se défendre d’un peu de nostalgie: «Par rapport à une actrice d’aujourd’hui, on pourrait dire que j’ai fait les mauvais choix. Je me rappelle ainsi une fois où la Titanus m’a appelée parce qu’un photographe américain de grande renommée venait à Rome pour faire des photos de jeunes talents. J’ai répondu: “Je ne peux pas, je vais à la mer avec des amis”. Car ma vie privée était plus importante. Quand je revois mes films, je vois une gamine qui inspire de la tendresse, mais c’est un monde révolu… ».

            Elle s’intéresse pourtant au cinéma contemporain, citant parmi ses réalisateurs préférés Ferzan Ozpetek, le réalisateur du très beau La finestra di fronte, ou Gabriele Muccino, l’auteur de L’ultimo bacio, une comédie sentimentale dont l’immense succès doit beaucoup à la fraîcheur de ses jeunes interprètes. Un digne successeur de Poveri ma belli, en somme. La petite fiancée du cinéma italien des années 50 ne pouvait pas s’y tromper.

 

FILMOGRAPHIE :

 

1954    o          Il barcaiolo di Amalfi de Mino Roli (Erminio Pontiroli)

                                   avec Mario Vitale

1955    o          Destinazione Piovarolo de Domenico Paolella

                        avec Totò

• scènes coupées au montage

            o          Il campanile d’oro de Giorgio Simonelli

                                   avec Sandra Mondaini

            o          Gli innamorati (Les amoureux) de Mauro Bolognini

                                   avec Antonella Lualdi

1956    o          Guardia, guardia scelta, brigadiere e maresciallo de Mauro Bolognini

                                   avec Alberto Sordi 

            o          Mamma sconosciuta de Carlo Campogalliani

                                   avec Alberto Farnese

            o          Cantando sotto le stelle de Marino Girolami

                                   avec Johnny Dorelli

o          Al servizio dell’imperatore (Si le roi savait ça) de Caro Canaille et Edoardo Anton

                                   avec Magali Noël

            o          Poveri ma belli (Pauvres mais beaux) de Dino Risi

                                   avec Marisa Allasio

            o          I miliardari de Guido Malatesta

                                   avec Mike Bongiorno

1957    o          Amore e chiacchiere (Salviamo il panorama) (Amour et… bla bla bla) d’Alessandro Blasetti

                                   avec Vittorio De Sica

            o          La trovatella di Pompei de Giacomo Gentilomo

                                   avec Carlo Giustini

            o          Lazzarella (Lazzarella, petite canaille) de Carlo Ludovico Bragaglia

                                   avec Mario Girotti

            o          Belle ma povere (Belles mais pauvres) de Dino Risi

                                   avec Marisa Allasio

1958    o          Totò, Peppino e le fanatiche de Mario Mattoli

                                   avec Totò

            o          L’ultima canzone de Pino Mercanti

                                   avec Madeleine Fischer

            o          Cigarettes, whisky et p’tites pépées de Maurice Régamey

                                   avec Pierre Mondy

            o          Poveri milionari de Dino Risi

                                   avec Maurizio Arena

o          Avventura a Capri de Giuseppe Lipartiti

                                    avec Maurizio Arena

1959    o          Il raccomandato di ferro de Marcello Baldi

                        avec Mario Riva

            o          I ragazzi dei Parioli de Sergio Corbucci

                                    avec Raf Mattioli

            o          Le notti dei teddy boys / Giovani volpi de Leopoldo Savona

                                   avec Geronimo Meynier

            o          Cerasella de Raffaello Matarazzo

                                    avec Claudia Mori

1960    o          Rocco e i suoi fratelli (Rocco et ses frères) de Luchino Visconti

                                   avec Alain Delon

            o          Le baccanti (Les bacchantes) de Giorgio Ferroni

                                   avec Taina Elg

1961    o          Mariti a congresso de Luigi Filippo D’Amico

                                   avec Walter Chiari

            o          Il mio amore è scritto sul vento (Magdalena, péché d’amour) de Luis Cesar Amadori

                                   avec Sara Montiel

1962    o          Ulisse contro Ercole (Ulysse contre Hercule) de Mario Caiano

                                   avec Georges Marchal

            o          Il figlio del capitano Blood (Le fils du capitaine Blood) de Tulio Demicheli

                                   avec Sean Flynn

            o          Il colpo segreto di d’Artagnan (Le secret de d’Artagnan) de Siro Marcellini

                                   avec George Nader

1963    o          Il boia di Venezia (Le bourreau de Venise) de Luigi Capuano

                                   avec Lex Barker

            o          Ercole contro Moloch (Hercule contre Moloch) de Giorgio Ferroni

                                   avec Gordon Scott

            o          Sandok, il Maciste della giungla (Le temple de l’éléphant blanc) d’Umberto Lenzi

                                   avec Sean Flynn

1964    o          Der Schut (Le prince noir) de Robert Siodmak

                                   avec Lex Barker

o          Der Schatz der Azteken et Die Pyramide des Sonnengottes (Les mercenaires du Rio Grande)

                           de Robert Siodmak

avec Lex Barker

1965    o          30 winchester per El Diablo (30 fusils pour un tueur) de Frank G. Carroll (Gianfranco Baldanello)

                                   avec Carl Möhner

• sous le nom de Topsy Collins

1966    o          Gli altri, gli altri e… noi de Maurizio Di Lorenzo (Maurizio Arena)

                                    avec Maurizio Arena

            o          La notte dell’addio de Renbor (Renato Borraccetti)

                                   avec Dan Daniels

1976    o          La madama de Duccio Tessari

                                    avec Carole André

 

 

Merci à Alessandra PANARO pour sa collaboration, sa gentillesse et sa disponibilité.

 

© Geoffroy CAILLET pour Les Gens du Cinéma (28/07/2007)